La vérité de Perdican en col roulé

— Je ne savais pas que vous aviez fait du théâtre.

La personne à qui l’on dit cela pourrait se contenter de répondre :

— Si. Je suis même resté deux ans au conservatoire de Bordeaux.

Mais comme pour corroborer ses dires, elle se lance incontinent dans un extrait qu’elle connaît encore, et dès lors vous retrouvez des sensations familières. Vous avez déjà vécu la même scène, peut-être dans la vie, ou bien à la télévision, un chanteur célèbre qui aurait commencé par vouloir être acteur, ou même un homme politique, dans une de ces émissions où l’on pousse les invités à s’épancher.

C’est un extrait de tirade, évidemment. Le texte vous paraît à la fois familier et mystérieux. Ce n’est pas une tarte à la crème, Ah ! non, c’est un peu court jeune homme, Percé jusques au fond du cœur, ou bien Je vis de bonne soupe et non de beau langage. D’ailleurs ce ne sont pas des vers, mais une prose étonnamment modernisée par un débit précipité, un arasement janséniste des effets. En quelques secondes, sans la moindre reprise de souffle, cela peut être :

« Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels. Toutes les femmes sont perfides, vaniteuses, curieuses et dépravées : le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au moins une chose sainte et sublime, c’est l’union de ces deux êtres si imparfaits et si affreux. »

On trouve cela extrêmement séduisant. On a la chair de poule. Une personne en col roulé, au cours d’une conversation banale, et tout d’un coup les mots sont autre chose. Le théâtre, celui que l’on va voir en spectacle, ne donne que très rarement cette certitude d’une révélation. Les protagonistes y déroulent tour à tour le fil d’une pensée prévisible, étayée par toutes les scènes précédentes. Mais là, on se trouve plongé d’emblée dans ce mystère irréductible : une morale séduisante et désenchantée enchâssée dans l’essence de la langue. Sans aucun artifice, dans un murmure étale, Perdican nous parle dans un mélange de lyrisme et de mélancolie d’autant plus contemporain qu’il fait semblant d’habiter les rites d’une syntaxe, d’un lexique ancien. On se sent obligé de s’étonner : – Vous la connaissez par cœur ? Ce la désigne moins la pièce que la vérité.